(Il suffit de traverser la rue)
Acte XIV : Le mouvement Gilet Jaune s’essouffle.
On est en plein débat national, il faut trouver un symbole fort.
Nous en débattons, et dans le regard de Litchi, une lueur surgit.
Son instinct quelque peu animal l’amène à exprimer, à sa façon, ce qui deviendra une évidence pour tous : l’ELYSEE !
Oui, le lieu de concentration actuel de tous les pouvoirs ! de toutes les décisions !
Pourquoi ne pas y avoir pensé plus tôt ?
C’est donc parti pour l’Elysée !
…
En ce jour du 16 février 2019, il serait bien de trouver un endroit ou nous repaitre avant action, idéalement aux couleurs tant redoutées par le pouvoir en place ? Jaune ?
Difficile.
Cette couleur ne semble pas encore suffisamment répandue.
Tant pis, ce sera « Le Bleu » pour ce midi (Pour ceux qui n’auraient pas la couleur, la devanture est bleue !) :
A la limite de fermeture, nous arrivons malgré tout à trouver une modeste place, dans ce café-tabac-presse-restaurant :
La chance est avec nous : un Gilet Jaune de pied en cape. La journée commence bien !
Durant le déjeuner, il nous faut bâtir une stratégie d’approche. Car malgré quelques échos de facilité d’approche ce matin sur le terrain, le contexte peut évoluer. Il faudra de plus nous adapter si besoin.
La suite nous fera dire que nous avons bien fait de ne pas surestimer nos forces !
Las de cette préparation, Litchi se contente d’écouter. Un peu en retrait. Nous le laissons tranquille : n’a-t-il pas déjà insufflé l’idée principale de notre intervention ?
Les idées fusent. Et c’est encore Litchi, après être sorti de sa réserve, qui nous souffle l’idée la plus géniale qui soit : en tant qu’artiste mais surtout citoyen, il trouve que l’expression « il n’y a qu’à traverser la rue pour trouver un emploi » serait un excellent symbole à performer.
Traverser la rue pour rejoindre l’Elysée devrait faire prendre conscience de l’insulte faite à nombre de citoyens en recherche d’emploi !
La discussion a un peu dérivé, sur l’évolution de ce que pourrait devenir le travail dans l’Après, sur la distinction entre travail et emploi, sur le paradoxe de voir concentrer le travail sur un nombre de plus en plus restreint de personnes, sur le fait que les gains de productivités actuels permettraient de mieux répartir le travail, que la course à la productivité ou concurrence généralisée était difficilement compatible avec une planète à ressource finie etc..
Que finalement la période actuelle pouvait être une formidable opportunité, pour les citoyens, de se réapproprier leur destin collectif. Que ce type de discussions et d’orientations, pour l’Après, ne pouvait déboucher sur une accélération des inégalités etc..
.. Et puis il a fallu choisir le dessert !
Et là c’est devenu TRES sérieux !
Enfin, en théorie…
Parce qu’en pratique et vu ce qui restait :
Il a fallu faire des choix (malheureusement limités..)
Bon sinon voila, la stratégie d’approche semble assez claire, avec le plan, les rues adjacentes à l’Elysée. Bref, difficile d’aller plus loin à ce stade :
Bon c’est parti.
Mais c’est ou exactement l’Elysée ?
Parce que pour la plupart d’entre nous, on n’y va pas souvent !
Transports perturbés. Pas terrible ni écolo mais on y va en voiture :
Bon, Litchi s’installe confortablement. Il a retrouvé un peu de bonne mine et esquisse un léger sourire.
Mauvais pressentiment : à l’approche du quartier de l’Elysée, Les Champs sont déjà bouclés..
Ça se confirme à l’approche d’une des rues permettant l’accès au quartier de l’Elysée :
Impossible de passer rue du faubourg St honoré ! Seuls les habitants du quartier peuvent franchir les barricades de CRS !
NE PAS RENONCER !
Après réflexion et concertation, nous mettons au point un stratagème qui se révèlera extrêmement efficace, mais … chut ! Impossible de le révéler, au risque de ne plus pouvoir l’exploiter à l’avenir !
Nous voici galerie Hadjer, à quelque pas de l’Elysée.
Litchi enfile son gilet jaune (nous n’aurions jamais pu passer les barrages sinon !).
Litchi est un peu stressé. Pourtant ce n’est pas la première fois qu’il fait une performance.
Peut-être le contexte de l’Elysée ? Les « ors » du pouvoir, la symbolique écrasante ? Nous lui rappelons ses lectures de Bourdieu, la notion de violence symbolique, les modes de conditionnements, et soumissions..
Litchi se détend un peu.
Il sait que sa performance marquera l’histoire. Il sait que son geste, aussi symbolique soit-il, marquera les consciences ; au moins au sein de la population canine.
Cela lui donne confiance.
Il va même jusqu’à poser face au ministère de l’intérieur
La ballade c’est sympa. Mais là va falloir y aller.
IL VA FALLOIR TRAVERSER LA RUE !
Litchi a souhaité être seul pour cela : il ne souhaite pas être instrumentalisé. Il se considère comme libre de ses actes.
Soit.
Il nous demande d’ôter la laisse qui jusqu’à maintenant l’entravait dans ses mouvements et initiatives
C’est bien.
Il se libère de ses chaines.
Et s’apprête à traverser,
…
Mais la dure réalité parfois nous rattrape.
Une barrière, pour le coup non symbolique, empêche Litchi provisoirement (?) de réaliser ce à quoi il aspirait ; tout en démontrant l’ineptie de la formule injurieuse.
Mais au fond Litchi n’aurait pas forcément accepté un emploi à l’Elysée.
Il pense à Voltaire et sa phrase au combien adaptée au locataire de l’Elysée « Le ridicule est une puissante barrière contre les extravagances de tous les sectaires »
Pendant ce temps, une rumeur se propage :
PANIQUE A L’ELYSEE :
En marge du cortège des Gilet Jaune, un méchant casseur (selon la police) tente de traverser la rue pour trouver un boulot à L’Élysée.
Une voix issue du Palais Présidentiel aurait clamé que la place était déjà prise !
Malgré la rumeur, les habitants du quartier restent quand à eux très lucides. La plupart ne se contentent pas de prendre pour argent contant les images « chocs » bien ciblées des grands médias ou autres commentaires passés en boucle.
Ils sont au contraire très compréhensifs face à ce représentant isolé des gilets jaunes. L’adhésion aux revendications n’est pas immédiate, bien sûr, mais ils ont bien compris, avec un minimum de lucidité et d’esprit critique, qu’il s’agissait d’un mouvement profond.
Qui ne s’arrêterait pas…
…Tant que l’Après n’advienne
Vivement l’Après